Publié dans l'Usine nouvelle

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La France est censée ouvrir ses barrages à la concurrence, mais les gouvernements successifs tardent à engager la procédure qui, selon des députés, aurait des conséquences négatives sur les plans économique et social. La question de la mise en concurrence des concessions de 20 % (5 300 MW) de la puissance hydroélectrique en France est un serpent de mer depuis 2009. Demandée par l’Europe afin d’ouvrir le marché français de l’électricité, la démarche a été lancée par le précédent gouvernement en 2010. De nombreux électriciens étrangers se sont montrés très intéressés par les barrages aujourd’hui détenus par EDF et GDF Suez. Mais la procédure ne cesse de prendre du retard. Les responsables politiques, même les plus libéraux, ne sont pas emballés à l’idée de lâcher ce patrimoine national largement remboursé et qui produit une électricité bon marché. En octobre dernier, la ministre de l’Energie, Delphine Batho, se prononçait contre cette ouverture et s’était mise en quête de "solutions alternatives". Pour la première fois, ce mercredi 3 avril, des députés mettent en avant les effets négatifs de l’ouverture. La commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, dirigée par le député socialiste François Brottes (notoirement anti-libéralisation des barrages), a auditionné la député PS de l’Isère Marie-Noëlle Battistel et le député UMP du Haut-Rhin Eric Straumann. Ils sont en charge d’un rapport sur l’hydroélectricité en France. Les deux parlementaires ont plaidé pour un réaménagement significatif de la mise en concurrence des concessions des barrages. Demandant un délai supplémentaire pour rendre leur rapport final, ils mettent d’ores-et-déjà en avant "cinq difficultés majeures".

Manque de réciprocité avec les autres pays La première est le manque de réciprocité. "Plusieurs pays dont sont issus certains candidats à la reprise des concessions en France n’ont pas ouvert la gestion de leurs propres parcs hydrauliques à la concurrence", expliquent les rapporteurs. C’est le cas de la Suède, de l’Allemagne, de l’Espagne et de la Suisse. A leur décharge, ces pays ont forcé leurs opérateurs nationaux à céder d’autres outils de production. Deuxièmement, les rapporteurs considèrent que "la mise en concurrence ferait perdre le contrôle de la production d’électricité la plus compétitive du mix national, et mettrait en cause la pérennité des industries électro-intensives sur le territoire". A l’heure où la France est à la recherche de sa compétitivité perdue, le contrôle du coût de l’électricité est un enjeu majeur. Les meilleurs barrages ont un coût record de production de l’électricité : entre 20 et 40 euros par MWh. A comparer au nucléaire (30 à 50 euros/MWh), au charbon et au gaz (40 à 70 euros/MWh), à l’éolien (85 euros/MWh)... Découpage mal adapté et pertes d’emplois Troisièmement, "la mise en concurrence prévue, qui envisage de séparer des ouvrages situés dans une même vallée entre plusieurs opérateurs, menacera l’optimisation de la production et sera source de nombreux contentieux". Les barrages amont influent sur la dynamique d’un cours d’eau et modifient le fonctionnement des barrages aval. Les opérateurs actuels militent pour conserver la gestion d’ensemble des rivières. Dès le début de la procédure, le gouvernement Fillon a choisi un découpage par vallée, sous forme de dix lots. Mais ces lots ne semblent pas optimisés selon les rapporteurs. Quatrièmement, "l’adoption d’un dispositif de type cahier des charges rend très malaisée la gestion coopérative des multiples vocations et usages de l’eau souhaitée par les acteurs locaux". Cela signifie que les autres usages de l’eau que la production d’électricité pourraient pâtir de la mise en concurrence. Enfin, et c’est sans doute l’argument le plus percutant en cette période de crise, "les destructions d’emplois apparaissent inévitables". Les députés avancent que les opérateurs privés conserveront les fonctions support dans leur pays d’origine dans un souci d’optimisation économique. Le rapport final devait être publié en avril ou en mai. Du côté des exploitants actuels, on a peine à croire que des barrages puissent quitter les mains des opérateurs historiques pour passer sous le contrôle d’opérateurs étrangers. A vrai dire, GDF Suez et EDF ont plutôt l’intention d’accroître leur capacité en prenant des parts l’un à l’autre. Le problème est que l’attente d’une éventuelle mise en concurrence retarde les investissements à réaliser sur ce parc pour l’optimiser. Ludovic Dupin